Tale of a New Light : The Elouan Dynasty.

Prémices au changement.

        


        Au prix de pertes et de souffrances indescriptibles étalées sur une intense année de répressions qui lui firent ployer le genou plus d'une fois, le nouveau visage à la tête de la dynastie Elouan, qui serait plus tard connu comme la Nouvelle Lumière, était enfin arriver à arrêter la plus importante rébellion de ces derniers siècles au sein de leur territoire. Sans même profiter de répit, il décida de se rendre, au soir de sa dernière victorieuse bataille, là où tout avait commencé. Un lieu chargé de souvenirs chaleureux et de bonheur. Un endroit profané par une partie du peuple qui ne soutenait plus la souveraineté d'une famille qui, pourtant, fournissait des efforts quotidiens pour tenter de satisfaire ses sujets. Il marchait machinalement au milieu des décombres, en se laissant guider par la mémoire que son corps avait gardé de ce qui fut jadis son foyer. En réalité, nonobstant le peu de temps passé, il s'agissait d'un jeune homme drastiquement différent qui foulait cette gigantesque allée grisée par la cendre menant à la ruine d'un manoir autrefois majestueux. En avançant, il ne voyait pas le présent, ses yeux le perdaient dans les résidus des images de son passé. Il voyait Samiya exténuée de poursuivre l'infinie vitalité de l'innocence d'un enfant, qu'aucun mal n'avait jamais atteint. Il voyait cet enfant attrapé dans le hall d'entrée, puis grondé par l'impitoyable majordome, malgré les vaines tentatives pour le couvrir des autres membres du personnel domestique qui l'aimaient profondément. Il voyait cet enfant, la tête sur les genoux de sa mère assise en haut du double escalier d'entrée et ses barres d'appui dorées. Il s'était retrouvé à l'étage, la poitrine lourde des regrets de ce qu'il a perdu durant ces mois de combats, lorsque ses pas s'arrêtèrent au milieu d'un couloir en soulevant les cendres et la poussière accumulées par le temps. Un petit livre se trouvait à ses pieds. Il se pencha pour ramasser le journal qu'il avait entretenu pendant tant d'années. Les souvenirs s'ancraient à présent dans sa mémoire à mesure que ses yeux parcouraient ce que ses mains avaient encrés à jamais sur ces pages. Ému de cette découverte, il fit défiler les pages abîmées, parfois manquantes, jusqu'à enfin atteindre, les larmes aux yeux, les derniers mots de son ancien lui. Rien du bonheur retranscrit dans ce carnet ne laissait présager la catastrophe qui allait s'ensuivre.


                       Mon bon vieux journal,

           On se connaît plutôt bien depuis toutes ces années à se côtoyer. Tu vois venir ce qui va se dire du coup. N'est-ce pas ? Ce n'est jamais la même chose chaque année tu le sais bien. Mais oui. Ça y est. On est entré dans cette fameuse période. Une période de fêtes, de retrouvailles, de bonheur infini, de chaleur familiale, et je passe les autres qualificatifs que maman emploie. Tout le monde s'affaire à la transformation annuelle du manoir. Chaque recoin de chaque pièce de notre absurdement gigantesque domaine familial est lustré, embelli et évidemment sublimé par l'âme du changement d'année. Mais bon, quoi que l'appelle maman, je vois bien que ce sont les domestiques qui polissent, nettoient et décorent la faramineuse quantité de salles que comporte notre foyer. Tout le monde met les bouchées doubles car en l'espace de 6 jours on fêtera comme d'habitude mon anniversaire (le quinzième !) et la venue du nouvel an. Bien sûr, rien n'est laissé au hasard, tout est parfaitement orchestré sous l'œil durement attentif de Kleindal, le majordome, et l'impérieuse baguette de Samiya, l'intendante. Si je trouve le majordome sinistre et abusivement strict en tout temps, ça m'étonne toujours de découvrir le naturel si doux de ma gouvernante devenir aussi autoritaire. Comme quoi, ce dernier mois de l'année a le don de changer le comportement de tout le monde. Même maman devient câlinante et déborde d'une affection presque étouffante qui me rappelle les tranquilles années de mon enfance.

          Depuis lors, j'ai toujours autant aimé cette période car c'est en outre la seule durant laquelle je peux côtoyer des gens de mon âge. En tant qu'enfant unique de la dynastie Elouan, j'ai été forcé de faire l'école à domicile depuis très jeune. "Tu seras très probablement le prochain héritier, il y a en conséquence beaucoup de connaissances, de principes et de mœurs que tu te dois d'assimiler par rapport aux autres enfants." répétait régulièrement maman pour justifier que je ne puisse pas aller à l'école avant le lycée. Nous ne sommes pas la seule famille du continent dans cette situation, mais celle que j'ai pu rencontrer entretenait plusieurs fils et filles soudés entre eux et bien plus âgés que moi. Bref, il n'y a eu que pendant ces semaines de fin d'année que je me suis fait des amis.

          Les deux dernières semaines de décembre en particulier réchauffent tout le domaine Elouan, le manoir et les trois maisons annexes, par les rires et la gaieté des orphelins de Lyriandre's Hollow. Et réciproquement, je suppose que leur séjour ici illumine leur vie d'ordinaire moins luxuriante le reste de l'année. Ce serait mentir de dire que je m'entends parfaitement avec tout le monde mais, c'est vrai que j'ai de très bons amis parmi eux et, au dessus du lot il y a David, que je considère comme mon meilleur ami, et Esther, la belle, gentille et gracieuse Esther. Elle rêve depuis toute petite de devenir une princesse et, honnêtement, si ce n'est qu'il lui manque le titre, elle a tout pour en être une parfaite. Oh mais tu le sais très bien journal, elle est… Enfin j'écris souvent à son propos… Et je… Je veux dire… Je vais pas écrire des choses embarrassantes dans ce journal, je suis sûr que maman me le pique dans la nuit pour le lire. Et non je ne rougis pas en écrivant !! Dans tous les cas, le point à retenir est que depuis quatre ans David a l'autorisation de venir ici quelques jours plus tôt que les autres. Haha, qu'est ce que je m'amuse avec lui, je ne comprends jamais la méfiance de maman et Samiya à son sujet. Il me fait réellement voir ma propre maison d'une façon dont je ne l'ai jamais vue. Je ne comprends pas non plus comment il a gardé une attitude des plus sérieuses pendant toute la semaine. Le temps passe trop rapidement à mon goût, les autres arrivent déjà demain, et je n'avais pas écrit depuis que David est là.

          Il a été déposé aux portes du domaine la semaine dernière, et c'est moi qui l'y ai accueilli. Même l'extérieur est arrangé par les domestiques. La plupart des familles ont un petit arbre décoré dans leur salon, mais, statut et possession oblige, on retrouve chez nous deux rangées d'une quinzaine de sapins juste pour l'allée principale qui mène à notre demeure, tous massifs et recouverts de guirlandes et de boules lumineuses, d'étoiles et autres accessoires rappelant la beauté des événements. Pour chaque sapin, les ornements sont singuliers et, de plus, authentiques aux années précédentes. Et chaque année je suis stupéfait du rendu. David était, quand je l'ai récupéré, chaudement vêtu d'une tenue spécifique à l'établissement d'où il venait, impassible comme à son habitude, avec son regard méfiant à l'égard de ce qui l'entoure. C'est un peu le cas chez tous les enfants de Lyriandre, mais cette suspicion vis-à-vis de tout est exacerbée chez lui. Malgré tout, je pense quand même avoir vu les étoiles dans ses yeux devant la splendeur de l'allée d'entrée et du jardin, dont on apercevait une partie plus loin sur notre droite tandis que nous nous approchions du manoir. Ce n'était qu'une impression que j'avais jusqu'au moment d'arriver dans le hall d'entrée. À ce moment-là, j'ai pu clairement constater qu'il s'y est tellement extasié qu'il en avait laissé s'échapper un "Woah" d'excitation. Et je le comprends : cette réception n'est ni plus ni moins une merveille. Si on ne peut pas nier l'harmonieuse beauté de l'ensemble des arbres à l'extérieur, pourtant habillés différemment les uns des autres, ce n'est en rien comparable à la pièce maîtresse qui trône au centre du vestibule du manoir. Ce sapin là est un pur bijou et brille de sa base à l'étoile posée sur son sommet qui caresse le chandelier au-dessus. Les domestiques, en surnombre pour la période, l'ont édifié de ses diverses parures, comme toujours en une nuit de sorte que le matin qui suit, maman et moi pouvions admirer la splendeur de ce chef-d'œuvre et ressentir la chaleur de la lumière, provenant certes des rayons du soleil levant traversant les parties vitrées en hauteur des portes d'entrées, mais qui semblait se propager de la magnificence du sapin. Alors forcément, même le cœur le plus dur s'adoucirait à sa vision, ça ne pouvait pas laisser David indifférent.

           David est occupé à je ne sais quoi pour un moment mais j'ai hâte qu'il revienne pour voir sa tête quand je lui annoncerai la meilleure nouvelle de cette année. Je m'obligerai demain à décrire la moindre rougeur de son visage quand il m'aura entendu. En même temps que j'écrirai les retrouvailles avec Esther, à qui je confierai la même excellente nouvelle. Peut-être que je profiterai même du moment pour lui dire que… Que je suis heureux d'avoir pu la rencontrer et tout ça…

         Chris, 20.12 an 243 de l'ère de la fleur.


           Chris s'assit sur les restes de ce qui semblaient avoir été une commode en terminant cette dernière page écrite de son "bon vieux journal". Un journal que sa mère lui avait intimé de tenir pour éviter de sombrer dans une solitude totale. Un journal qu'il pensait avoir disparu dans les décombres des ruines où il se tenait. Il redressa la tête, le regard lourd des épreuves de l'année passé, et fut pris de nostalgie en pensant au jour où il écrivit ces pages car il s'agissait de l'ultime jour ordinaire de sa vie.


          Il avait fallu très peu de temps après le retour de David dans sa chambre pour qu'ensemble, les deux enfants reprirent des discussions qui vivifiaient une amitié que seul l'un d'eux chérissait véritablement. Chris, tout excité par une nouvelle qui aurait dû propulser leur amitié plus loin, s'empressa de lui raconter comment leur futur s'annonçait, sans savoir que l'adolescent assis en face de lui n'avait pas d'autre but que de commencer à le briser pour faciliter des fins néfastes à son égard.
     - "David !" s'exclama le jeune Chris sans pouvoir contenir son excitation. "Je dois t'annoncer la meilleure chose au monde !
     - Vous allez enfin m'adopter?
     - Ouf t'es bête, mais c'est vrai que ça serait cool ! Non, en fait, ma mère m'a annoncé qu'à partir de l'an prochain, je pourrai intégrer une école publique. Ça veut dire qu'on pourra être au lycée ensemble ! Ce que j'ai hâte d'y être. Et Esther quelle tête elle fera quand je lui annoncerai."
     David ne réagissait pas du tout à son annonce. Aucune émotion ne transparaissait sur son visage. Il continuait de regarder son interlocuteur dans les yeux. Sans joie, sans entrain. Son masque ne pouvait plus tenir après cette annonce.
     - "Enfin c'est pas parce que je ressens quelque chose de particulier pour elle." Reprit Chris étonné mais pas découragé du manque de réaction de son ami. "Elle est comme toi hein. Une amie très proche. Et je l'aime beaucoup. Comme toi et les autres bien sûr…"

     Un silence pesant s'était installé. Le temps s'étirait et transformait la joie en gêne chez Chris. Ses lèvres, tremblantes à mesure que son sourire s'estompait, ne savaient plus quels mots utilisés pour maintenir la situation dans la gaieté. Quelques secondes se sont écoulées mais le jeune Christopher Elouan avait l'impression qu'ils étaient restés à s'observer pour des minutes durant. Il sentit son cœur battre, puis s'arrêter en entendant son meilleur ami finir après lui leur conversation.
     - "Et... et donc?" dit finalement Chris pour relancer la conversation. "Tu n'avais pas de nouvelles à m'annoncer…?
         - Ah moi? Eh bien, elle me l'a déjà avoué et je compte aussi déclarer mon amour à Esther."


À suivre …

20.12.2020