The Strength to Endure.
Flore Kraine Dionaï.
Il était une fois dans la florissante région d'Ubtaria, la prestigieuse famille Dionaï la représentait aux yeux d'Andjen, le continent sur lequel les hommes ont évolué génération après génération. Malheureusement, en dépit d'efforts quotidiens pour se stabiliser, cette famille traversait une période difficile durant laquelle elle périssait peu à peu au profit de trois autres dynasties gouvernantes. Yvon Dionaï était l'actuel chef de cette famille et précipitait toutes les ressources à sa disposition à des affaires politiques primordiales qui leur permettraient de continuer d'exister en tant que dynastie gouvernante.
Jadis, six clans familiaux eurent formé durant plusieurs générations un équilibre opportun afin de diriger l'entièreté du monde des Hommes. Cependant, avec la venue de la Fleur du Paradis dans le continent d'Andjen huit décennies plus tôt, cet équilibre s'est vu brisée. L'absence de floraison à la tête de trois de ces familles, dont faisait partie les Dionaï, les rendait trop faibles face à la puissance grandissante que sa possession a conférée aux trois autres : Les dynasties Elouan, Crows et Raï. L'instabilité créée par cette nouvelle configuration de répartition des pouvoirs provoqua ainsi le déclin de déjà deux des trois familles dynastiques désavantagées. Les Dionaï, eux, se trouvaient jusqu'alors dans un cas de figure spécifique : ils ne possédaient certes aucune floraison particulière, mais ce déficit était contrebalancé par la forte économie agricole, la prospérité et l'autonomie de la région d'Ubtaria. Un fait qui, malgré tout, ne pouvait empêcher la perte certaine d'un nombre accru de territoire, réduisant à la fois leur emprise sur les populations Ubtariannes et la portée de leur voix à travers Andjen.
Et c'est dans ce contexte, qu'au sein du domaine Dionaï, loin du bonheur d'être entourée d'or et de joyaux, loin des merveilles que peut offrir une vie majestueuse au sein d'une famille de prestige, une jeune femme qui avait grandi en arrachant sa survie à la fatigue et la douleur, se voyait à nouveau éprouver par l'implacable misère de sa vie. Et pour sa plus grande tristesse, elle seule pleurait la mort de sa mère. Flore Kraine Dionaï, enfant descendante d'une branche secondaire au clan Dionaï, avait été éduquée avec l'idéal de fraternité au sein de cette grande dynastie dans laquelle elle naquit. Malgré tout ce dont elle a manqué, elle grandit consciente de son sang, adulant et reconnaissant appartenir à cette famille supposément soudée, sans n'avoir pourtant jamais rencontré aucun membre de la branche principale. C'était pour cette raison qu'en ce jour de deuil, sa solitude la brisait au-delà de ce que son cœur pouvait supporter. Deux ruisseaux coulaient sur ses joues rougies. Son corps entier était pris des tremblements dus à ses pleurs. Agenouillée, la tête posée sur ses bras croisés et fixés au bord du cercueil d'un blanc pur et aux contours dorés, elle ne parvenait aucunement à contenir ses sanglots. Et pourtant, même au centre chaotique du malheur qui la cernait, elle trouva, restant fidèle à elle-même, la force de maintenir cette lumière qui lui avait si souvent permis de se dépasser et de ne pas abandonner. Elle faisait toujours preuve d'une patience sans limite et encore aujourd'hui, elle s'efforça de trouver des excuses à ceux qui l'avaient délaissée en ce jour funeste. "Notre Dynastie est à un tournant historique. Notre héritage est au bord de la fin. La perte d'un membre d'une famille annexe ne peut qu'avoir une moindre importance, surtout si notre famille entière s'effondre." se disait-elle les larmes débordant de ses yeux et tombant au-dessus du visage sans couleur de sa défunte mère, qui était allongée dans son cercueil siégeant sous la fenêtre d'une extrémité d'un funérarium entièrement vide. "Maman, je ne sais pas si je tiendrai." Elle, qui n'avait jamais connu son père, ne garderait que le souvenir de sa mère et sur ce moment si particulier, entendait une dernière fois les paroles réconfortantes que sa mère lui répétait quand les événements mettaient au défi sa capacité à endurer : "Tu peux le supporter Flore. Tu as toujours pu tout supporter…"
À une autre extrémité du domaine, la figure de proue des Dionaï, Yvon était en compagnie d'Hommes de loi, de partenaires commerciaux et, bien évidemment, faisait face aux représentants charognards des autres dynasties qui cherchaient depuis des années à le faire tomber et par la même acquérir ses possessions. Et ainsi, tandis que ce dernier s'arrachait les cheveux pour résoudre le problème de survie de sa famille, la jeune Flore quittait le centre funéraire où le personnel finirait de s'occuper du corps inerte de sa mère jusqu'à son incinération. Supportant à peine la situation, Flore partit à son lieu de travail et exécuta ses tâches quotidiennes. Une nouvelle enseigne économique voyait le jour à Ubtaria et elle exploitait un minerai bien particulier. Elle employait donc nombre de travailleurs, dont faisaient partie Flore et sa mère, pour se rendre dans de biens dangereuses mines et extraire des roches le précieux wixilotrope. En s'y rendant, Flore n'était pas consciente de la tournure finale de sa matinée : La jeune femme verrait un gisement du recherché minerai s'écrouler sur elle et son équipe. Cette vie déplorable qu'elle peinait à traverser toucherait, d'une certaine manière, à sa fin.
À des kilomètres de là, quelques temps avant la tombée du soir de ce même jour, une autre situation arrivait au terme de son existence. Dans la salle du trône à Inochi, le siège principal du foyer des Dionaï, se tenait l'ultime réunion du clan dirigé par Yvon. À cette triste occasion, une table immense avait été installée au centre. Yvon avait, quant à lui, délaissé l'idée de s'asseoir sur son trône et s'était lui-même rabaissé à se mettre au même niveau que ses hôtes dans sa propre demeure. Il ne retenait aucunement ses larmes coulant abondamment de ses yeux. Des yeux qui ne soutenaient plus les regards des gérants des grandes firmes commerciales Bridaxon et, plus récente, Wixiprod. Des yeux qui, depuis des mois, ne pouvaient plus croiser ceux des chefs de familles de fermiers et cultivateurs. Des yeux qui comprenaient la crainte de tous ces acteurs portant l'économie d'Ubtaria, vis-à-vis de la proximité des Argans en comparaison à la faiblesse de ceux qui avaient juré de vouer leur vie à les défendre : La Dynastie Dionaï. Le peuple et les entreprises tendaient à se tourner vers les Dynasties plus puissantes qui pourraient renforcer leur sentiment de sécurité. C'est ainsi qu'Yvon se noyait dans les ténèbres de la détresse que son impuissance ne pouvait repousser. Crows. Raï. Elouan. Ces trois noms de prestige ne comptaient laisser aucune place de pouvoir à une famille dépourvue de floraison chez tous ses membres. Ils promettaient une protection sans faille et une prospérité amplifiée et inespérée à la région d'Ubtaria. Ils remuaient clairement le couteau dans la plaie béante d'un seigneur Dionaï qui avait déjà craqué, incapable de sauver son clan au bord de l'annihilation. L'ambiance était sombre. Les trois rapaces déchiquetaient petit à petit le maigre héritage des Dionaï.
Au vingt-huitième jour du troisième mois de l'année 82 de l'ère de la Fleur, dans cette salle baignée de la faible lueur du crépuscule, dans cette funeste atmosphère d'abandon, une lumière déchira le silence du désespoir.
- "Même seule, je m'occuperai de défendre Ubtaria ! Même seule, je me battrai pour empêcher que ma famille ne s'éteigne. Nous, Dionaï, semblions avoir atteint nos limites. Je représenterai le visage de la nouvelle Dynastie Dionaï !"
Un silence lourd s'était installé. Toute l'assemblée observait la nouvelle venue.
- "Pardonnez ma soudaine intrusion, seigneur Yvon, mais ne perdez pas espoir. N'abandonnons pas. Je suis la preuve que notre absence de floraison n'est que rumeur !"
Flore n'avait eu aucun soucis à se rendre dans la salle. Aucun garde, aucun soldat, aucun membre de la famille Dionaï ne voulait l'arrêter. Elle avait au contraire été guidée vers cet endroit. Acclamée comme une héroïne. La sauveuse. Elle tremblait de peur mais ne pouvait laisser percevoir aucun signe de faiblesse. Elle serra son poing et poursuivit sa progression. Des pierres étincelantes tournoyaient gracieusement autour de Flore et s'incrustaient à tout endroit de cette gigantesque salle, au gré de sa volonté. Leur blancheur apparente transparaissait sur un cœur rose mouvant et reflétant une lumière lilas, d'une intensité plus forte que celle reçue, illuminant la salle du trône. Par elle, les Dionaï découvraient la floraison de leur Dynastie. Une floraison plus pure que toutes les autres de par sa proximité à la Fleur du Paradis, origine même des floraisons. Une floraison qui lui permettait un contrôle absolu sur ce que la science s'accordait à dire être les résidus de la Fleur du Paradis, la preuve qu'elle ait existée : Un minerai qui était apparu peu après son extinction et qui portait le même sublime dégradé de couleurs. Une floraison qui n'aurait pu être découverte sinon qu'en manipulant ce wixilotrope. Pour la première fois de la journée, les seules larmes qui coulaient chez les membres de la famille Dionaï étaient dues à la joie, au soulagement et à l'admiration.
Les voix de désapprobation tonnaient. Se demandant qui elle était, un brouhaha d'incompréhension emplissait de plus en plus les lieux d'un fond sonore hostile à cette femme capable de récupérer l'affection et la confiance des acteurs économiques d'Ubtaria. Mais encore une fois, après avoir pris une grande inspiration, la voix de Flore se posa au-dessus de toutes les autres.
- "Si vous ne tenez plus, regardez mon dos et suivez mes pas ! Redressez-vous. Élevez vos têtes et redressez-vous avec fierté ! Dionaï, notre fin définitive n'est pas aujourd'hui. Aujourd'hui est notre renaissance !"
La vive chaleur de son apparition effaçait la froideur des regards des ennemis des Dionaï. Elle, qui faisait face aux trois représentants venus détruire sa famille, éblouissait par sa prestance les uns, et éclipsait par sa présence les doutes des autres.
"Maman, tu me manqueras mais je dois aller de l'avant." se dit-elle. "J'ai la possibilité d'aller plus loin que quiconque. Je veux pleurer mais je dois me montrer sans faille." Et elle termina son discours dans les applaudissements, les cris et les pleurs de ceux qui la supportaient pour la première fois. Les membres de sa grande famille soudée.
- "Même si je dois faire l'impossible pour, je serai à la tête de la nouvelle Dynastie Dionaï ! Toutes les complications. Tous les problèmes. Tous les maux. Je les supporterai !"
"Oui." se dit-elle avec le sourire le plus radieux de toute sa vie, sur un visage inondé de larme, encourageant toujours plus ses nouveaux fervents admirateurs. "Je pourrai les supporter. J'ai toujours pu tout supporter."
Cette pensée l'avait fait tenir contre vents et marrées par le passé, et elle continuerait de la maintenir sur ses pieds même quand le monde voudrait la faire trébucher. Et à elle seule, elle porta la renommée de la Dynastie Dionaï plus haut que jamais. Et plus jamais elles ne faillirent. Ni la jeune héritière de cette nouvelle famille. Ni la famille en elle-même. Flore Kraine Dionaï avait su recréer son héritage à son image. Et comme la jeune Flore l'avait fait, la nouvelle Dynastie Dionaï apprit à supporter les douleurs et les épreuves pour se propulser vers l'avenir. Et...
En effet, elle put les supporter.
Elle a toujours pu tout supporter.
27.12.2020