Le dernier Roi

Le pouvoir par l'instruction.


           ⟪ "Un Prince ne fait jamais un bon Roi." C'est la raison que m'avait donné mon père en m'envoyant au-delà des terres des Hommes, au pays des Argans. À bord du bateau en partance pour Ba'am Guiri, la majestueuse capitale de marbre et de platine, bâtie, disait-on, sur des gisements d'ambre et autour d'une rivière abritant des placers abondant d'or, je lançais un dernier au revoir à mon vieux père. Le cœur lourd de la séparation avec mon dernier parent, je m'en allais, l'esprit préoccupé par ses dernières paroles. Lui, l'homme à la tête des six Grandes Dynasties Gouvernantes, le puissant Krone Dunamabory, le Roi Unificateur des 17 royaumes, aussi appelé le Pacifique, le seul être humain à avoir été béni et doué du Jugement des neuf Empereurs de Lumière, un souverain d'une force, d'un charisme, d'un intellect et d'une sagesse que vous ne pourriez avoir oublié. Lui m'a confié :

          "Fils. Tu as bien grandi, tu fais ma fierté et ma dernière volonté serait de te voir prendre ma suite. Mais si j'ai appris une chose dans ma vie, c'est que le trône des Hommes ne peut qu'être mérité et non hérité. Un Prince ne fait jamais un bon Roi. Voilà pourquoi tu dois partir. Découvre le monde, apprends de tout ce dont il a à t'enseigner. Vis une existence humblement, et quand tu auras compris ce qu'est le vrai souverain d'un peuple, reviens. Quand tu sauras ce que représente le Pouvoir, proclame ce trône qui sera tien. Tu n'es pas mon héritier. Mais j'espère que tu le deviendras."

          C'était soixante et une années avant la période de crise suivant l'arrivée de la Fleur du Paradis. Soixante-deux avant la mort de mon père, avant mon arrivée ici, avant aujourd'hui, votre venue et vos convoitises. Mais permettez-moi donc de vous conter brièvement mon voyage, et de vous faire voir ce que j'ai compris : Ma réponse à ce que représente le Pouvoir.

         Je suis resté cinquante ans à Ba'am Guiri, à errer dans l'immensité de la cité. J'y ai appris les fondements géologiques de notre planète, les sciences physiques qui nous régissent, mécaniques quantiques et théories d'expansion de l'univers. Les Argans m'ont enseigné la psychologie humaine et la philosophie, la médecine et la botanique. Ils m'ont expliqué leur régime politique que vous ne pouvez imaginer être mis en place et que je n'ai, malgré cinq décennies, toujours pas entièrement acquis les principes tant il est complexifié. Ce que j'ai compris avec eux, c'est que je n'ai appris qu'une infime portion de l'entièreté de leur connaissance.

Ma vision de moi-même s'est à jamais transformée lorsque j'ai pour la première fois foulé leur Bibliopolis. Et malgré toute cette érudition, ils étaient si humbles qu'ils pouvaient volontiers passer du temps à m'écouter en espérant que je leur instruise un quelconque concept qui leur échapperait. Et enfin, croyant avoir vu tous les joyaux de création, toutes les merveilles de mode de vie qu'un être humain puisse concevoir de sa main, j'ai entamé mon voyage de retour. Je pensais avoir trouvé la réponse à l'interrogation de mon père. Le vrai Roi était pour moi les puits de sciences inépuisables dont la majorité était inenvisageable à atteindre. Le possesseur du pouvoir se devait d'en être le garant. Je me trompais encore, sinon vous ne seriez pas là, présentés avec animosité face moi.

          Vous n'êtes en rien comparable au tiers de l'homme que j'étais à ce moment-là. Un homme riche de connaissances, modeste par habitude d'être entouré d'un peuple m'étant supérieur en tout point, avec des ambitions pour porter mes semblables Hommes vers des monts d'excellence encore jamais entrevus. J'ai bataillé le reste de ma vie pour prendre la relève de mon père, dans un périple vers l'absolu gouvernance du Royaume des Hommes. Vous désirez le pouvoir comme je le veux mais nos objectifs à long terme sont sensiblement opposés. Tout compte fait, ce Pouvoir, ni vous ni moi ne parviendrons jamais à le posséder réellement. Arrivée à la fin de mon voyage de retour, vieux de mes soixante-dix-neuf ans, j'ai enfin compris ce que mon père voyait dès sa quinzaine. C'est vous dire la différence entre lui et nous, au-delà de la puissance. Voici la conclusion de mon initiation : La plus grande illusion de la vie, c'est la possession de pouvoir. Lui qui le recherche ne le trouvera jamais. Pourtant, nous sommes là. Face à face. En plein combat pour déterminer qui sera le plus digne du trône. ⟫

À suivre…


31.01.2021